Les assureurs devront-ils indemniser les cafés, bars et restaurants pour “perte d’exploitation” à la suite de leur fermeture administrative décidée par le gouvernement dans le cadre de la lutte contre la Covid-19 ?
Par un jugement daté du 17 septembre 2020, le Tribunal de Commerce de Paris a estimé que c’est bien à l’assurance de payer “l’addition” de la perte d’exploitation subie par 5 cafés et restaurants à Paris et en province, à la suite de leur fermeture administrative pour cause de Covid-19.
En effet, les restaurants avaient souscrit un contrat d’assurance multirisques avec la compagnie d’assurance AXA incluant une clause spéciale relative à la couverture de la perte d’exploitation en cas de fermeture administrative qui pourrait résulter, selon ladite clause : “ d’une maladie contagieuse, d’un meurtre, d’un suicide, d’une épidémie ou d’une intoxication”.
L’épidémie, de façon générale, figurant ainsi dans la liste des causes indemnisables, et l’épidémie de la Covid-19 de façon spécifique n’étant pas expressément exclue du contrat, les restaurateurs ont estimé que leur contrat d’assurance était de nature à couvrir leur perte d’exploitation.
En effet, il est parfaitement établi que la compagnie d’assurance, qui entend exclure des garanties, doit le préciser dans le contrat. A ce propos, l’article L. 113-1, alinéa 1er, du Code des assurances dispose que « les pertes et les dommages occasionnés par des cas fortuits ou causés par la faute de l’assuré sont à la charge de l’assureur, sauf exclusion formelle et limitée contenue dans la police ».
Cependant, AXA a soulevé une erreur d’interprétation de la part des restaurateurs et a soutenu que le contrat reste essentiellement un contrat d’adhésion et qu’elle entendait par cette rédaction : la couverture d’une perte d’exploitation survenant à la suite d’une décision administrative individuelle, imposée au seul restaurant sanctionné par une fermeture au public à la suite d’une méconnaissance des règles d’hygiène et de sécurité et non une décision gouvernementale impersonnelle et générale.
Elle a ajouté que la décision de fermeture administrative des cafés bars et restaurants étant une mesure gouvernementale, il était de la responsabilité du gouvernement d’atténuer le préjudice des pertes d’exploitation subies par les restaurateurs, et cela a été d’ailleurs l’objectif de la mise en œuvre de plusieurs dispositifs tels que : le chômage partiel, le prêt aidé et le non-paiement de charges sociales et fiscales. Mais encore, la remise possible d’impôts directs, le rééchelonnement des crédits bancaires et le report des loyers.
Et donc, selon la compagnie d’assurance, l’hypothèse prévue au contrat n’est pas exactement celle de la situation où se trouvent les restaurateurs et que si tous les assureurs auraient à couvrir le risque de la pandémie à tous les adhérents, cela coûterait plus de 60 milliards d’euros et ruinerait à coup sûr toutes les compagnies d’assurance.
Par contre, le Tribunal de Commerce de Paris, a estimé que la rédaction du contrat laisse place à une interprétation extensive pouvant inclure une décision administrative collective imposée de manière générale par les pouvoirs publics.
Il a retenu principalement que que la décision administrative de fermeture des restaurants est un événement externe à la volonté d’un restaurateur et s’impose à lui. Aussi, que l’épidémie de la Covid-19 est un aléa comme un autre sur lequel repose le principe de l’assurance.
Dès lors, l’interprétation du contrat mérite une extension spécifique à la clause et peut laisser à penser que l’épidémie causant une perte d’exploitation à la suite d’une décision administrative est couverte par l’assurance bien qu’elle soit une décision générale.
Et dans le cas précis, la perte est appréciable non pas en termes de coût qui pourrait résulter d’une perte de clientèle mais d’un manque à gagner au titre des revenus prévisibles et non réalisés.
Sous réserve d’un éventuel Appel, la portée d’un tel jugement pourrait être celle d’une extension élargie des garanties vers tous les cas d’indemnisation d’un manque à gagner lié à des menaces ou des crises sanitaires graves, et par voie de conséquence à une nouvelle forme d’indemnisation de perte d’exploitation sans dommage.
Ainsi, deux propositions de loi ont été avancées par les parlementaires : L’une visant à intégrer dans le Code des assurances le concept d’état de catastrophe sanitaire; et la deuxième visant à créer un mécanisme d’assurance des pertes d’exploitation liées à des menaces ou crises sanitaires graves.